XU WEI 1521-1593 Pinceau ivre, encre amère

Florence HU-STERK

Cet essai s’aventure dans l’univers fascinant d’un des peintres-lettrés chinois les plus excentriques, fondateur de l’art moderne et pourtant encore méconnu du public occidental : Xu Wei (1521-1593). Alors que sous d’autres cieux, les artistes de la Renaissance s’attachent à glorifier fidèlement de leur œil savant la beauté des corps et des palais, le peintre des Ming se livre à une inlassable quête intérieure pour esquisser un autoportrait intime par le biais quasi exclusif de quelques végétaux et animaux de la région du Sud du Fleuve, dont il est issu. Il est peu de dire qu’il s’identifie aux objets qu’il peint : son sang coule dans les nervures de ses feuilles de lotus, sa respiration fait tournoyer ses crabes, sa lymphe fait croître ses pins, l’alcool qu’il boit irrigue les sarments de ses vignes et ses larmes se répandent en grappes de raisins : autant de miroirs d’encre qui palpitent au rythme de son cœur. La question des relations entre vie et œuvre devient ici caduque puisque la quasi-totalité de ces peintures, accompagnées de textes et de poèmes composés par ses soins et calligraphiés de sa main, ancrent les œuvres dans l’existence de l’artiste, aux prises avec ses propres frustrations et les profonds bouleversements politiques et sociaux de la fin des Ming. Ses œuvres mêlent intrinsèquement peinture, poésie et calligraphie en un geste créateur unique. Tous les sujets y sont exécutés dans leur élan vital, parfois aux frontières de l’abstraction, transfigurés par son pinceau agité et virtuose. Pour un œil occidental du XXIe siècle, la modernité de son style graphique laisse pantois. Miné par ce que Xu Wei nomme sa « maladie », l’artiste a malgré tout offert au monde une œuvre polymorphe d’une extraordinaire fécondité que ses troubles mentaux pourtant avérés n’ont jamais réussi à gommer. Peut-être avait-il viscéralement senti que seule la création pouvait le mener sur les chemins de la guérison. « Le mariage de la violence et de la grâce » ; c’est par ces mots que François Cheng définit Xu Wei, peintre aussi inquiétant que séduisant dont l’œuvre ne laissera personne indifférent. Cinq cents ans ont passé, reste pour nous la présence lumineuse d’un artiste pionnier.